Violences faites aux femmes
Parole de parents
En octobre 2019, la mairie de Saint-Ouen, par le biais de la Mission Droits des femmes, a passé une commande à Galène Productions pour une action qui a abouti en novembre à la salle Barbara. L’association a mené l’action intitulée « Parole de parents » qui s’est appuyée sur les maisons de quartier. Un groupe d’habitantes, réuni par les maisons de quartier, a écrit des textes pour une lecture publique. Les textes devaient toucher aux thématiques des violences domestiques et du dialogue entre parents et enfants sur ce sujet. Juliette Piedevache a dirigé les ateliers d’écriture de ce groupe d’habitantes au cours de plusieurs séances dans une salle au 27 av. Gabriel Péri. Des agents des maisons de quartier ont également contribué en écrivant dans ce même atelier d’écriture.
Les textes ont fait l’objet d’une mise en espace à la salle Barbara le 14 novembre 2019, dans le cadre d’une journée de réflexion dédiée à la lutte contre les violences faites aux femmes. Cette mise en espace a été orchestrée par Juliette Piedevache qui avait également écrit trois textes pour étoffer le corpus de lecture. Chacune des auteures a lu son texte, et se sont réparti les textes supplémentaires. Elles ont été accompagnées sur scène par le danseur Willy-Pierre Joseph.
Dénoncer les violences faites aux femmes le 14 novembre 2019 à la salle Barbara, un article dans le journal de la ville :
Dans l’article ci-dessus, paru dans l’édition de décembre 2019 du journal de la ville de Saint-Ouen, aucune mention n’est faite de la participation de Galène Productions ni de celle des artistes Juliette Piedevache et Willy-Pierre Joseph (La photo qui illustre l’article a été prise pendant la lecture dirigée par l’intervenante de l’association).
Extraits des textes écrits et lus pour cet événement :
Léo
Léo décroche le téléphone ce matin.
Il n’y a que lui qui peut le faire.
Au bout du fil c’est sa mamie.
C’est sa mamie à qui il répond.
et il dit :
« Papa, il a tué maman, Gilles et lui. »
Léo, qui n’a pas tout a fait 6 ans,
vient de passer la nuit avec son petit frère de 9 mois,
dans une maison où les adultes sont morts.
Son papa, la veille, a tué sa maman
le nouveau compagnon de celle-ci
puis, il s’est donné la mort.
Et il n’y a plus d’adultes pour répondre.
Plus de parole de parents.
C’est l’enfant qui doit dire,
aux gendarmes aussi.
Et Léo n’a pas 6 ans.
Je dis « non » : La Poêle
Je ne crois pas avoir vu mon père frapper ma mère.
Je ne me souviens pas de ces violences.
Je me souviens de ma mère qui avait eu des bleus sur les bras. Une empoignade ?
Je n’ai jamais vu de coups.
Mon père n’a jamais levé la main.
Sur moi non plus, sa fille.
Lui, avait été « redressé »,
à coup de ceinturon, par sa mère.
C’était pendant la seconde guerre mondiale.
Mon grand-père était prisonnier et ma grand-mère élevait seule deux garçons, un peu chenapans.
Mon père a fait la guerre d’Algérie.
Mais je crois qu’il était pacifiste.
J’ai reçu des claques et des fessées par ma mère.
On n’élève plus les enfants comme ça.
Je me sentais davantage humiliée que douloureuse.
Je n’aimais pas.
Adulte, qu’est-ce qui m’a fait décidé que je ne tolèrerai jamais la violence d’un compagnon à mon encontre ?
Je ne sais pas.
Mais je me disais :
« Si on me frappe, je pars. »
« Je dis non ».
A une époque, je louais une chambre,
dans une ville où je faisais mes études.
Mon compagnon d’alors est venu me rejoindre un week-end.
C’était un dominateur, un dominateur très intelligent.
Violent et humiliant dans le verbe, mais jamais dans les gestes.
Jusqu’à ce jour :
Je me souviens être dans la cuisine avec lui.
Une dispute éclate. Fort !
Je m’oppose,
ce que je faisais rarement.
Je m’oppose très fermement.
Je ne sais plus pourquoi : je me suis retrouvée accroupie contre la cuisinière.
Le ton était monté.
Oui,
Je me souviens !
Nous étions debout face à face.
L’affrontement s’était durci.
Il a attrapé une poêle à frire, grande et lourde, et il l’a brandie au-dessus de ma tête.
Il m’a fait peur.
Ma colère et mon niveau d’énergie ont chuté d’un coup et je me suis accroupie contre la cuisinière.
J’ai pensé : « Tu vas peut-être me fracasser la poêle sur la tête, mais ce sera la seule et unique fois que tu le feras. »
Je l’aimais, j’étais très amoureuse, j’étais aussi absolument sous son joug et manipulée par lui.
Je lui ai dit, très calmement, de façon très posée, à voix presque basse et dans une tonalité grave :
« Demain, je veux que tu prennes toutes tes affaires et que tu t’en ailles. Je ne veux plus te revoir. »
Le bras armé s’est détendu, il a relâché la tension
et posé la poêle.
Il est sorti de la pièce,
et j’ai mis un an de plus à le faire sortir de ma vie.
Menaces (texte polyphonique)
Le podcast ci-dessous rend compte de l’effet recherché lors de la représentation. Lors de la lecture publique toutes les lectrices ont pris en charge le même texte.
durée : 3 min. 23
Ça va saigner
Tu vas t’en prendre une
arrête de la ramener
Je vais te tuer
Tu veux une tarte
Tu vas t’en prendre une
Tu veux une tarte
J’vais t’en coller une
De toutes façons t’as pas le droit de l’ouvrir
T’as besoin d’être redressée
Tu vas comprendre là
de toutes façons tout ça c’est de ta faute
J’vais t’apprendre la vie
J’vais t’en coller une
T’as pas compris encore
t’en veux une autre ?
T’as vu comment tu te tiens
T’as pas honte
J’vais t’apprendre à te tenir
Ferme ta bouche
Tu vas apprendre à vivre
Tais-toi
De toutes façons t’as pas le droit de parler
Arrête de m’énerver
Tu as vu comment tu te tiens
Pourquoi tu me cherches
Tu veux t’en prendre une
C’est toi qui me provoques
Ferme-là
Tu sais ce qui t’attends à la maison ?
Ferme ta bouche
Tais-toi
Tu perds rien pour attendre
Attends, tu vas voir.
Arrête de m’énerver,
c’est toujours toi qui me provoques.
C’est de ta faute.
Tu veux t’en prendre une autre
t’as pas compris encore
Tu ferais mieux de te taire
Tu sais comment ça va finir encore
attends, tu vas voir
C’est toi qui me provoques
C’est toujours toi qui me cherches
Je t’avais prévenue
Tu sais plus quoi dire, là
t’as raison de te taire.
Nous avons donné à entendre aussi un texte extrait de American darling de Russel Banks :
« Vous vous dites que ça ne va jamais finir. D’abord le coït puis la grossesse. L’accouchement. La petite enfance. Et puis en réalité ça s’arrête.
Non que l’une ou l’autre de ces choses dure éternellement. Il en est comme le coït ou l’accouchement, qui ne durent que quelques minutes ou quelques heures. Mais chacune, pendant qu’elle a lieu, semble n’avoir ni début ni fin, et chaque phase qui vous accable dans ce cycle de deux ans, depuis l’acte sexuel jusqu’à la fin de la petite enfance du bébé, vous donne l’impression d’être le tout. J’y suis passée deux fois, et les deux cycles se sont chevauchés. D’abord avec Dillon, puis, juste au moment où je l’ai sevré, avec les jumeaux Paul et William.
D’abord vous pensez : Voilà ce qu’est ma vie, désormais. Voilà qui je suis. Ma vie est cet éternel carambolage, ce tringlage, se faire caramboler et se faire tringler. Et puis vous pensez : non, ma vie désormais se passera à patauger maladroitement dans les eaux épaisses de mon corps si bizarrement déformé, ou bien autour de ces mêmes eaux. Non, accoucher, c’est chier des charbons ardents. Me transformer en volcan à l’envers. Et puis vous dites : non, je suis cette personne qui a des fuites et qui donne ses seins douloureux à la bouche suceuse d’une autre créature, et quand le bébé est rempli, je suis celle qui nettoie son vomi, sa pisse et sa merde.
Sans cesse le même cycle, mois après mois. Voilà ce qu’est ma vie, désormais, pensez-vous. Voilà qui je suis. Et tout le monde, surtout quand c’est une autre femme qui vous parle, vous jure que vous allez adorer toutes les phases de cette vie-là, que chacune va vous donner pour la première fois, et puis de plus en plus, la sensation d’être une femme pleinement épanouie. Vous allez être vous-même en plus profond et plus grand. »
contact : galene.productions@gmail.com